Analyse de coût-efficacité : mesurer la valeur des médicaments génériques
déc., 15 2025
Les médicaments génériques ne sont pas tous égaux en prix - et c’est là que l’analyse de coût-efficacité entre en jeu
Vous avez peut-être remarqué que deux génériques pour la même maladie ont des prix très différents. Un peut coûter 2 euros, l’autre 30 euros. Pourquoi ? Parce que le prix n’est pas toujours lié à la qualité, mais à la manière dont le marché fonctionne. L’analyse de coût-efficacité (ACE) permet de répondre à cette question : quel médicament générique offre le meilleur rapport entre coût et résultat pour la santé ?
En France, en Europe, et même aux États-Unis, les systèmes de santé cherchent à économiser sans sacrifier la qualité. Les génériques sont censés être la solution : moins chers, aussi efficaces. Mais ce n’est pas toujours aussi simple. Certains génériques sont 15 fois plus chers que d’autres dans la même classe thérapeutique. Et certains payeurs continuent à les rembourser, même quand une alternative bien moins chère existe. Pourquoi ? Parce que personne n’a fait l’analyse correcte.
Comment mesure-t-on la valeur d’un médicament générique ?
L’ACE ne regarde pas juste le prix à la boîte. Elle calcule ce qu’on appelle le rapport coût-efficacité incrémental (ICER). C’est une formule simple : combien coûte en plus un traitement pour gagner une année de vie ajustée en qualité (AVQ) ?
Par exemple : si un générique coûte 100 euros et permet d’obtenir 0,1 AVQ de plus qu’un autre, son ICER est de 1 000 euros par AVQ. Si un autre générique coûte 50 euros pour le même résultat, son ICER est de 500 euros. Le deuxième est plus efficace sur le plan économique.
Les agences d’évaluation comme l’Institut national de santé et de recherche médicale (INSERM) ou l’Institut pour la recherche en santé publique (ISPOR) utilisent cette méthode pour dire si un médicament doit être remboursé. Mais il y a un gros problème : 94 % des études publiées n’incluent pas les futures baisses de prix dues à l’arrivée de nouveaux génériques. C’est comme évaluer le prix d’une voiture en 2020 sans regarder que des concurrents vont arriver en 2025 et la rendre obsolète.
Les données qui changent tout : ce que révèle l’étude JAMA de 2022
Une étude majeure publiée dans JAMA Network Open en 2022 a analysé les 1 000 génériques les plus utilisés aux États-Unis. Résultat : 45 d’entre eux étaient 15,6 fois plus chers que d’autres médicaments dans la même classe thérapeutique, mais avec le même effet clinique.
Si on les avait remplacés par les alternatives les moins chères, les dépenses auraient chuté de 7,5 millions de dollars à moins de 900 000 dollars. Soit une économie de 88 %. C’est comme si chaque patient avait reçu un traitement gratuit pendant un an.
Et ce n’est pas une exception. Les génériques avec des formes posologiques différentes (comprimé vs gélule) ou des fabricants différents peuvent varier de 20 fois en prix, alors que leur efficacité est identique. La seule différence ? Le marketing, les contrats avec les gestionnaires de prestations pharmaceutiques (PBMs), ou la lenteur des systèmes de remboursement à se mettre à jour.
Les PBMs : le piège invisible qui fait monter les prix
Vous n’avez peut-être jamais entendu parler des PBMs. Pourtant, ils contrôlent la plupart des décisions de remboursement aux États-Unis. Leur modèle économique repose sur le « spread pricing » : ils négocient un prix bas avec les pharmacies, mais facturent aux assureurs un prix bien plus élevé. La différence, c’est leur profit.
Conséquence : un générique à 2 euros peut être facturé 20 euros à l’assurance. Et tant que ce prix est inscrit dans leur formulaire, il reste remboursé. Même s’il existe une alternative à 1,50 euro. Pourquoi changer ? Parce que le PBM gagne plus avec le prix élevé.
Ce système pousse les hôpitaux et les assureurs à choisir des médicaments qui ne sont pas les plus économiques, mais les plus rentables pour les intermédiaires. L’ACE devrait corriger ça. Mais trop souvent, elle est ignorée - ou mal faite - parce qu’elle est trop technique, ou qu’on ne veut pas voir les véritables moteurs des prix.
Comment les brevets et les génériques transforment le marché
Quand un médicament de marque perd son brevet, le prix chute. En moyenne, la première entrée d’un générique fait baisser le prix de 39 %. Avec six concurrents, il tombe à plus de 95 % en dessous du prix original.
Les données de la FDA montrent que deux génériques réduisent le prix de 54 %, quatre génériques, de 79 %. C’est une courbe de baisse prévisible. Pourtant, la plupart des analyses de coût-efficacité utilisent encore le prix actuel du médicament de marque comme comparateur - même si son brevet expire dans 18 mois.
C’est une erreur majeure. Comme si on évaluait la valeur d’un téléphone en 2023 en le comparant à un iPhone 14, alors qu’un modèle 15 va sortir dans six mois. Les analystes doivent intégrer la date d’expiration du brevet dans leurs modèles. Sinon, ils sous-estiment la valeur des génériques et découragent leur adoption.
Les erreurs courantes dans les analyses de coût-efficacité
Beaucoup d’analyses sont biaisées. Voici les trois erreurs les plus fréquentes :
- Utiliser le prix du médicament de marque comme référence - même après l’expiration du brevet. Cela rend les génériques moins attractifs qu’ils ne le sont.
- Ignorer les alternatives thérapeutiques moins chères - on compare un générique cher à un autre générique cher, sans chercher la version la moins chère du même principe actif.
- Ne pas prévoir l’arrivée de nouveaux génériques - les modèles sont figés dans le temps, alors que le marché évolue en quelques mois.
Les études financées par l’industrie pharmaceutique sont deux fois plus susceptibles de conclure que leur produit est « rentable ». Cela ne veut pas dire qu’elles sont fausses - mais qu’elles sont souvent mal conçues pour inclure les vraies alternatives.
Comment les systèmes de santé peuvent mieux utiliser l’ACE
En Europe, plus de 90 % des agences d’évaluation utilisent l’ACE pour décider des remboursements. Aux États-Unis, seulement 35 % des assureurs commerciaux le font régulièrement. Pourquoi cette différence ?
Parce que les systèmes européens ont des processus standardisés. L’HAS en France, l’NICE au Royaume-Uni, l’ICER aux États-Unis - ils publient leurs méthodes, leurs données, leurs décisions. Ils mettent à jour leurs analyses quand de nouveaux génériques arrivent.
Les bonnes pratiques ?
- Utiliser les prix réels des génériques, pas les prix de marque.
- Comparer non seulement les génériques entre eux, mais aussi avec d’autres classes thérapeutiques.
- Actualiser les analyses chaque fois qu’un nouveau générique entre sur le marché.
- Exiger que les fabricants fournissent des données de prix réels, pas des estimations.
Il ne s’agit pas de réduire les coûts à tout prix. Il s’agit de payer pour ce qui fonctionne - et éviter de payer pour ce qui ne vaut pas le prix.
Le futur : des analyses plus intelligentes, des économies plus grandes
Entre 2020 et 2025, plus de 300 médicaments de marque vont perdre leur brevet. Ce sera la plus grande vague de génériques de l’histoire. Si les systèmes de santé ne s’adaptent pas, ils vont continuer à gaspiller des milliards.
Les nouvelles méthodes d’ACE intègrent maintenant des modèles dynamiques. Elles prévoient l’arrivée des génériques, les variations de prix, les substitutions thérapeutiques. Elles ne regardent plus juste un instant dans le temps - elles regardent l’évolution du marché.
Et les politiques suivent. Aux États-Unis, la loi sur la réduction des prix des médicaments de 2020 et la loi sur l’inflation de 2022 obligent Medicare à négocier les prix et à privilégier les alternatives les moins chères. En France, les prix des génériques sont désormais fixés par l’État, avec des seuils de remboursement ajustés chaque trimestre.
Le message est clair : les génériques ne sont pas juste une alternative. Ce sont des leviers puissants pour réduire les coûts sans perdre en efficacité. Mais pour en tirer le maximum, il faut savoir les mesurer - et ne pas se contenter du prix affiché.
Qu’est-ce qu’une analyse de coût-efficacité (ACE) pour les génériques ?
C’est une méthode qui compare le coût d’un médicament générique à ses bénéfices pour la santé, généralement mesurés en années de vie ajustées en qualité (AVQ). Elle permet de déterminer si un générique offre une meilleure valeur que d’autres traitements, y compris d’autres génériques ou des médicaments de marque.
Pourquoi certains génériques sont-ils beaucoup plus chers que d’autres ?
Le prix ne dépend pas toujours de la qualité. Il peut être influencé par les contrats des gestionnaires de prestations pharmaceutiques (PBMs), la complexité de la forme posologique (comprimé, gélule, solution), ou la lenteur des systèmes de remboursement à intégrer les nouvelles alternatives. Certains génériques sont 15 à 20 fois plus chers que d’autres avec le même effet.
L’ACE tient-elle compte de l’arrivée de nouveaux génériques sur le marché ?
La plupart des études publiées ne le font pas - 94 % ignorent les futures baisses de prix. Mais les meilleures analyses modernes utilisent des modèles dynamiques qui prévoient l’entrée de nouveaux concurrents, surtout après l’expiration des brevets. Cela permet d’éviter de sous-estimer la valeur des génériques.
Les génériques économisent-ils vraiment de l’argent ?
Oui, massivement. Aux États-Unis, les génériques ont permis d’économiser 1,7 trillion de dollars entre 2007 et 2017. Ils représentent 90 % des prescriptions, mais seulement 17 % des dépenses totales en médicaments. En France, les génériques ont permis d’économiser plus de 2 milliards d’euros en 2024.
Qu’est-ce que la substitution thérapeutique et pourquoi est-elle importante ?
C’est le fait de remplacer un médicament par un autre de la même classe thérapeutique, mais avec un prix plus bas. Une étude a montré que remplacer certains génériques coûteux par des alternatives moins chères pouvait réduire les dépenses de 88 %. C’est une opportunité d’économie souvent ignorée, car les cliniciens ne sont pas toujours informés des différences de prix.