Contraintes de fabrication des génériques : pourquoi certains médicaments sont en rupture de stock
déc., 15 2025
En 2025, plus de 90 % des ordonnances en France et aux États-Unis sont remplies avec des génériques. Pourtant, des médicaments essentiels - comme l’epinephrine, le levothyroxine, les antibiotiques ou les chimiothérapies - disparaissent des étagères des pharmacies sans prévenir. Pourquoi ? Ce n’est pas un problème de demande. C’est un problème de prix.
Le modèle économique qui s’effondre
Les génériques sont censés être bon marché. Et ils le sont - trop. Les groupes d’achat hospitaliers, les gestionnaires de prestations pharmaceutiques et les assurances négocient des contrats basés sur des différences de prix inférieures à un centime par comprimé. Pour un fabricant, cela signifie qu’il gagne à peine 5 % sur certains médicaments. Quand les coûts de production augmentent - emballage, main-d’œuvre, conformité - il n’a pas d’autre choix que de cesser de produire. En 2023, un médicament générique comme le cisplatine, utilisé pour traiter le cancer, a été retiré du marché américain après que la FDA ait découvert des défauts systématiques dans la fabrication en Inde. L’entreprise n’avait pas les moyens de réparer les lignes de production sans augmenter les prix. Or, augmenter les prix, c’est perdre le contrat. Alors, ils ont arrêté. Et des milliers de patients ont été laissés sans traitement.La chaîne d’approvisionnement mondiale, un point faible
Presque 97 % des antibiotiques essentiels, 92 % des antiviraux et 83 % des 100 médicaments génériques les plus utilisés aux États-Unis n’ont aucune source de matière première active (API) sur le sol américain. La plupart viennent d’Inde ou de Chine. Et ces pays ne contrôlent pas seulement la production : ils contrôlent les matières premières. Par exemple, 80 % du précurseur de l’acétaminophène (le paracétamol) provient d’une seule région de Chine. Pendant la pandémie, quand l’Inde a interdit les exportations de 26 médicaments essentiels, les hôpitaux aux États-Unis ont dû rationner l’insuline, les antibiotiques et les anesthésiques. Ce n’était pas une crise temporaire. C’était une faille structurelle. Un seul blocage dans une usine en Asie peut provoquer une rupture de stock mondiale.Les coûts de la conformité : un fardeau pour les petits
Créer une usine pharmaceutique conforme à la FDA aux États-Unis coûte entre 250 et 500 millions de dollars. Et ça prend 3 à 5 ans. En Inde ou en Chine, le même projet coûte 50 à 100 millions. Les entreprises américaines ne peuvent pas rivaliser. Même les fabricants étrangers qui veulent vendre aux États-Unis doivent subir des inspections surprises, remplir des dossiers de 5 à 7 ans, et payer jusqu’à 2,3 millions de dollars d’amende pour chaque non-conformité. Les fabricants de génériques n’ont pas les ressources pour investir dans des technologies modernes comme la fabrication continue, qui permet de surveiller la qualité en temps réel. Ils se contentent de méthodes vieilles de 40 ans, plus lentes, plus sujettes aux erreurs. Et quand un lot est rejeté, la perte est totale. Pas de marge de manœuvre. Pas de stock de sécurité. Juste un silence dans les rayons.
Le prix au détriment de la qualité
Les études montrent que les génériques fabriqués en Inde sont associés à 54 % plus d’événements indésirables graves - hospitalisations, incapacités, décès - que les mêmes médicaments produits aux États-Unis. Ce n’est pas une coïncidence. C’est le résultat d’un système qui récompense le moins cher, pas le plus sûr. Un pharmacien dans un hôpital de Lyon a raconté avoir dû remplacer 17 traitements antibiotiques différents en six mois à cause de ruptures. Une infirmière a dû surveiller 89 patients qui ont changé de levothyroxine, parce que la version générique habituelle n’était plus disponible. Les patients paient maintenant jusqu’à 450 € par mois pour un médicament qui coûtait 10 € en générique. Ce n’est pas une question de disponibilité. C’est une question de choix politique.Qui est responsable ?
La FDA ne peut que demander poliment aux fabricants d’augmenter la production. Elle n’a pas le pouvoir de forcer. Les groupes d’achat négocient en secret, sans transparence. Les politiciens parlent de « relocalisation » depuis dix ans, mais les subventions sont minimes. En 2024, le budget de la FDA pour inspecter les usines étrangères a augmenté de 12 % - alors que le nombre d’usines à inspecter a bondi de 40 %. Les fabricants de génériques ne sont pas des voleurs. Ce sont des entreprises qui essaient de survivre dans un système conçu pour les écraser. Quand le prix est la seule variable, la qualité, la fiabilité et la sécurité deviennent des luxes.
Que peut-on faire ?
Certains hôpitaux commencent à passer des contrats directs avec les fabricants, en évitant les groupes d’achat. Cela permet de payer un peu plus, mais en échange, on obtient une livraison fiable. C’est un début. D’autres pays, comme le Canada et l’Allemagne, ont mis en place des prix minimaux pour les génériques critiques - pas pour protéger les entreprises, mais pour protéger les patients. Aux États-Unis, une loi a été proposée en 2023 pour offrir des crédits d’impôt aux fabricants qui produisent des API sur le sol américain. C’est une piste. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi réformer la façon dont les médicaments sont achetés. Il faut arrêter de comparer un comprimé de 0,01 € à un autre. Il faut reconnaître que la sécurité n’a pas de prix - et que la santé publique ne peut pas être négociée comme un produit de supermarché.Et maintenant ?
En 2023, la FDA a enregistré 278 ruptures de stock - le chiffre le plus élevé depuis 2011. 67 % concernaient des génériques. En 2027, il ne restera que 89 fabricants de génériques aux États-Unis, contre 127 en 2022. Ce n’est pas une prévision lointaine. C’est une trajectoire déjà tracée. Les patients ne comprennent pas pourquoi un médicament qui coûte 10 € est introuvable. Ils ne savent pas que ce n’est pas une erreur. C’est le système. Et tant que le prix restera la seule mesure de la valeur, les ruptures de stock ne feront que s’aggraver. Les génériques ne sont pas en danger parce qu’ils sont bon marché. Ils sont en danger parce qu’on les a rendus trop bon marché.Pourquoi les génériques sont-ils plus souvent en rupture de stock que les médicaments de marque ?
Les médicaments de marque bénéficient de brevets qui leur permettent de fixer des prix élevés, ce qui finance la recherche, la production fiable et les stocks de sécurité. Les génériques, eux, doivent concourir sur le prix. Quand le prix tombe en dessous du coût de production, les fabricants arrêtent. Pas de marge, pas de stock, pas de plan B. Les marques ont un seul producteur. Les génériques ont des dizaines - mais tous sont à bout de souffle.
Les médicaments fabriqués en Inde ou en Chine sont-ils moins sûrs ?
Pas nécessairement. Mais les contrôles sont moins rigoureux, les inspections moins fréquentes, et les pressions financières plus fortes. Une étude a montré que les génériques produits en Asie sont associés à 54 % plus d’événements indésirables graves. Ce n’est pas une preuve de culpabilité, mais un signal d’alerte. La qualité dépend du fabricant, pas du pays. Mais les fabricants les plus fragiles sont souvent ceux qui produisent pour le marché des génériques.
Pourquoi la FDA ne bloque-t-elle pas les usines non conformes ?
Elle le fait - mais trop tard. La FDA peut interdire l’importation d’un médicament après une inspection défaillante. Mais elle ne peut pas forcer un fabricant à produire. Si une usine est fermée, il faut des mois, voire des années, pour en ouvrir une autre. Pendant ce temps, les patients n’ont pas de traitement. La FDA n’a pas de pouvoir de commande. Elle ne peut que supplier.
Comment savoir si mon médicament générique est en rupture de stock ?
Consultez le site de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) ou le portail de la FDA (en anglais). Les ruptures sont listées en temps réel. Si votre pharmacien ne peut pas vous fournir votre générique habituel, demandez le nom du principe actif. Il peut y avoir d’autres fabricants, même si le nom commercial change. Ne remplacez pas vous-même : parlez à votre médecin.
Y a-t-il des alternatives si mon générique n’est plus disponible ?
Oui, mais pas toujours. Pour certains médicaments - comme l’epinephrine ou les chimiothérapies - il n’existe pas de substitution directe. Pour d’autres, comme le levothyroxine, des marques différentes existent, mais elles peuvent avoir des différences de formulation qui affectent l’absorption. Votre médecin doit évaluer chaque cas. Ne prenez jamais un médicament différent sans avis médical.
Les gouvernements font-ils quelque chose pour résoudre ce problème ?
À peine. Certains pays comme la France et l’Allemagne ont mis en place des prix minimaux pour les génériques critiques. Aux États-Unis, une loi de 2023 propose des incitations fiscales pour produire sur le sol national. Mais les fonds sont faibles, les mesures trop lentes. La relocalisation prend 5 ans. Les ruptures arrivent chaque mois. Ce n’est pas une solution. C’est un retard.