Délai de 30 mois : comment les litiges brevets retardent l'approbation des médicaments génériques

Délai de 30 mois : comment les litiges brevets retardent l'approbation des médicaments génériques déc., 24 2025

Le délai de 30 mois est l’un des mécanismes les plus puissants - et les plus controversés - du système américain d’approbation des médicaments. Il n’est pas un simple délai administratif. C’est un levier juridique qui peut bloquer l’arrivée de génériques sur le marché pendant des années, même quand le brevet de base est expiré. Et pourtant, la plupart des patients n’en ont jamais entendu parler.

Comment ça marche ?

Quand une entreprise veut lancer un médicament générique, elle dépose une demande d’approbation auprès de la FDA, appelée ANDA. Mais si le médicament original est encore protégé par un brevet, le fabricant générique doit déclarer, dans ce qu’on appelle une certification Paragraph IV, que ce brevet est invalide ou non enfreint. C’est une déclaration audacieuse. Elle équivaut à un défi juridique public.

Dès qu’elle reçoit cette notification, la société qui détient le brevet a 45 jours pour intenter un procès en contrefaçon. Si elle le fait, la FDA est automatiquement bloquée : elle ne peut pas approuver le générique pendant 30 mois. Ce n’est pas une décision de la FDA. Ce n’est pas un délai de contrôle technique. C’est une suspension imposée par la loi, juste parce qu’un litige a été lancé.

Le système a été créé en 1984 par la loi Hatch-Waxman, pour trouver un équilibre entre deux objectifs : encourager l’innovation des laboratoires pharmaceutiques et permettre l’accès rapide à des médicaments moins chers. Mais dans la pratique, il a souvent servi à retarder la concurrence.

Le vrai coût du délai

Les 30 mois ne sont pas toujours une fin en soi. Ils sont souvent un point de départ. Si le procès ne se termine pas dans ce délai, la FDA peut le prolonger - tant que le litige n’est pas résolu. Certains cas durent cinq, six, voire huit ans. Pendant ce temps, le générique peut recevoir une approbation provisoire. Cela signifie que la FDA a vérifié que le produit est sûr, efficace et identique au médicament original. Mais elle ne peut pas le laisser être vendu. Le générique est prêt. Il attend juste que le litige se termine.

Selon les données de la FDA en 2022, 78 % des demandes de génériques ont reçu une approbation provisoire pendant un litige. Pourtant, la plupart de ces médicaments n’ont été commercialisés que des années plus tard. La moyenne ? 3,2 ans après la fin du délai de 30 mois. Pourquoi ? Parce que les entreprises ne sont pas toujours prêtes. Elles attendent la fin du litige pour lancer leur produit, par peur d’être poursuivies. Ou elles négocient des accords avec le laboratoire original pour reporter la sortie du générique.

Ces accords, appelés pay-for-delay, sont devenus monnaie courante. En 2017, la FTC a révélé que 78 % des litiges Paragraph IV se terminaient par des accords qui repoussaient la sortie du générique bien au-delà de la date d’expiration du brevet. Le laboratoire original paie le générique pour ne pas entrer sur le marché. C’est légal. Mais c’est un contournement du système.

Un système qui favorise les gros acteurs

Le délai de 30 mois ne touche pas tout le monde de la même manière. Les petites entreprises ne peuvent pas se permettre de financer un procès de plusieurs millions de dollars. Selon une enquête de l’Association for Accessible Medicines en 2022, 63 % des fabricants de génériques dépensent entre 3 et 5 millions de dollars par demande pour se défendre en justice. Ce coût, ajouté aux frais de développement, rend la concurrence impossible pour les petits acteurs.

Les géants du secteur - Teva, Sandoz, Viatris - ont des équipes entières dédiées à la stratégie Hatch-Waxman. Ils embauchent des avocats spécialisés qui facturent jusqu’à 1 800 $ l’heure. Ils passent des mois à analyser chaque brevet, chaque clause, chaque faille dans la liste du Orange Book - le répertoire officiel des brevets liés aux médicaments.

Et les laboratoires innovants ? Ils utilisent cette complexité à leur avantage. Au lieu d’un seul brevet, ils déposent huit, dix, parfois quinze brevets sur un seul médicament. Certains sont sur la formule, d’autres sur la méthode de fabrication, d’autres encore sur des détails minimes comme la couleur de la pilule. La loi de 2003 a interdit les multi-stays - plusieurs délais de 30 mois pour un même générique. Mais elle n’a pas empêché les brevets secondaires. Une étude de Brookings en 2019 a montré que 67 % des brevets listés dans l’Orange Book pour les médicaments les plus vendus ont été déposés après l’approbation initiale du médicament. Ce n’est pas de l’innovation. C’est de l’extension artificielle.

Des pilules prêtes à être livrées sont bloquées par un signal d'arrêt 'Litige en cours', tandis que des inspecteurs approuvent leur qualité.

Comparaison avec le reste du monde

Aux États-Unis, le délai de 30 mois est unique. En Europe, les génériques peuvent entrer dès l’expiration du brevet, même si un litige est en cours. La France, l’Allemagne, le Royaume-Uni - aucun ne bloque l’approbation réglementaire pour des raisons juridiques. Le Canada a un système similaire, mais avec un délai de 24 mois seulement. Et la Chine ? Elle n’a pas de mécanisme équivalent. Les génériques y entrent plus vite.

Le système américain est le seul à lier l’approbation réglementaire à un litige civil. C’est un mélange dangereux de droit administratif et de droit de la propriété intellectuelle. Il crée des incitations perverses : mieux vaut attendre que de lancer. Mieux vaut négocier que de gagner en justice.

Qui gagne ? Qui perd ?

Les laboratoires innovants disent qu’ils ont besoin de ce délai pour protéger leurs investissements. Ils affirment que sans lui, personne ne développerait de nouveaux médicaments. En 2020, l’ancien commissaire de la FDA Scott Gottlieb a déclaré que le système avait permis d’économiser 2 200 milliards de dollars aux consommateurs depuis 1984. C’est vrai. Des milliers de génériques sont arrivés sur le marché.

Mais ce chiffre cache une vérité plus sombre. Les économies ne viennent pas des génériques qui entrent rapidement. Elles viennent des génériques qui entrent après que le brevet est tombé. Et le délai de 30 mois, combiné aux accords de retard, les empêche d’entrer à temps. Selon la FTC, les retards causés par ce système ajoutent 13,9 milliards de dollars par an aux coûts des médicaments aux États-Unis.

Les patients paient. Les systèmes de santé paient. Les assurances paient. Les gens qui n’ont pas de couverture paient le plus cher. Un médicament qui devrait coûter 50 dollars peut rester à 500 dollars pendant des années, simplement parce que la loi permet de le bloquer.

Un laboratoire paie un fabricant de génériques pour retarder son entrée sur le marché, tandis qu'en arrière-plan, l'Europe accepte librement les génériques.

Le futur est-il en train de changer ?

Le système est sous pression. En 2023, un projet de loi, l’Affordable Prescriptions for Patients Act, a été déposé au Congrès pour réduire le délai de 30 mois à 18 mois et l’interdire pour les brevets secondaires. La FTC a appelé à réformer le système pour empêcher les « patent thickets » - ces nappes de brevets qui étouffent la concurrence.

Les données montrent que si le délai était supprimé, les génériques entreraient en moyenne 9,2 mois plus tôt pour les médicaments à petites molécules. Cela pourrait économiser 28 milliards de dollars par an.

Mais les lobbies pharmaceutiques résistent. PhRMA, le principal groupe de pression des laboratoires innovants, affirme que ces changements réduiraient les investissements en recherche de 14 milliards de dollars par an. Ce qui signifie, selon eux, 24 à 36 nouveaux médicaments en moins dans les dix prochaines années.

La vérité est plus nuancée. Les grandes entreprises investissent déjà des milliards dans la recherche. Elles n’ont pas besoin du délai de 30 mois pour le faire. Ce dont elles ont besoin, c’est d’un monopole prolongé. Et c’est ce que ce système leur permet.

Qu’est-ce que ça change pour vous ?

Si vous prenez un médicament générique, vous avez peut-être déjà bénéficié de ce système. Ou vous avez peut-être payé plus cher parce qu’il a été bloqué. La plupart des gens ne savent pas la différence. Ils voient juste un prix élevé. Ils ne savent pas que c’est un litige, pas une question de production, qui retarde leur accès.

Le délai de 30 mois n’est pas une erreur technique. C’est une décision politique. Et comme toute décision politique, il peut être changé. La question n’est plus de savoir s’il fonctionne. La question est : à qui profite-t-il ? Et est-ce que les patients en valent la peine ?

Qu’est-ce que le délai de 30 mois exactement ?

C’est une suspension automatique imposée par la loi américaine qui empêche la FDA d’approuver un médicament générique pendant 30 mois après qu’un laboratoire innovant a intenté un procès en contrefaçon de brevet. Ce délai ne dépend pas de la durée du procès, mais de la simple ouverture d’un litige. Il s’applique uniquement si le générique a déposé une certification Paragraph IV, c’est-à-dire qu’il conteste la validité d’un brevet.

Le délai de 30 mois bloque-t-il la production du générique ?

Non. La FDA peut continuer à examiner le dossier technique du générique pendant ce délai. Elle peut même délivrer une approbation provisoire si le produit répond à tous les critères de sécurité et d’efficacité. Ce qui est bloqué, c’est la vente. Le générique est prêt, mais il ne peut pas être mis sur le marché tant que le délai n’est pas terminé ou que le litige n’est pas résolu.

Pourquoi les laboratoires utilisent-ils autant de brevets ?

Les laboratoires déposent des brevets secondaires - sur des formes galéniques, des procédés de fabrication, des combinaisons, même des couleurs - pour prolonger artificiellement leur monopole. Même si le brevet principal expire, un autre brevet peut déclencher un nouveau délai de 30 mois. Une étude de Brookings en 2019 a montré que 67 % des brevets listés dans l’Orange Book pour les médicaments les plus vendus ont été déposés après l’approbation initiale du médicament.

Les accords de retard (pay-for-delay) sont-ils légaux ?

Oui, pour l’instant. Un laboratoire innovant peut payer un fabricant de génériques pour qu’il reporte sa sortie sur le marché. La FTC les considère comme anti-concurrentiels, mais ils n’ont pas encore été interdits par la loi. En 2017, 78 % des litiges Paragraph IV se sont terminés par ce type d’accord, ce qui a retardé l’entrée des génériques de plusieurs années.

Le système est-il différent en Europe ?

Oui. En Europe, il n’existe pas de mécanisme équivalent au délai de 30 mois. Une fois que le brevet expire, la FDA européenne (EMA) peut approuver un générique même si un litige est en cours. La protection repose sur la durée de l’exclusivité de données (10 ans), pas sur les brevets. Cela permet aux génériques d’entrer plus vite, mais réduit aussi la sécurité juridique pour les laboratoires innovants.

Quels sont les effets économiques du délai de 30 mois ?

Selon la FTC, les retards causés par ce système ajoutent environ 13,9 milliards de dollars par an aux coûts des médicaments aux États-Unis. Les génériques réduisent les prix de 80 à 85 % dès leur arrivée, mais le délai de 30 mois et les accords de retard empêchent cette baisse de se produire à temps. Une étude de l’Université de la Californie du Sud estime que la suppression du délai permettrait d’accélérer l’entrée des génériques de 9,2 mois en moyenne, avec des économies annuelles de 28 milliards de dollars.