Impact du marketing : comment la publicité façonne la perception des médicaments génériques

Impact du marketing : comment la publicité façonne la perception des médicaments génériques déc., 1 2025

Quand vous voyez une publicité télévisée pour un médicament contre le diabète, avec des gens qui marchent dans un parc au lever du soleil, rient avec leurs petits-enfants, et disent « Je reprends ma vie en main avec X », vous pensez immédiatement à un produit nouveau, puissant, presque magique. Ce que vous ne voyez pas, c’est que la version générique de ce même médicament est chimiquement identique, bien moins chère, et souvent prescrite en premier par les médecins. Pourtant, la publicité a fait son travail : elle a fait croire que le nom de marque est supérieur. Et ça change tout.

La publicité directe aux consommateurs, un phénomène presque unique

Les États-Unis et la Nouvelle-Zélande sont les seuls pays au monde où les laboratoires peuvent faire de la publicité pour des médicaments sur ordonnance directement aux patients. En France, au Canada, ou en Allemagne, ce type de communication est interdit. Pourquoi ? Parce que les chercheurs ont compris très tôt que cette publicité ne parle pas de santé - elle parle de perception.

En 2020, les entreprises pharmaceutiques ont dépensé plus de 6,58 milliards de dollars aux États-Unis pour des publicités télévisées, imprimées ou en ligne. C’est plus de dix fois ce qu’elles dépensaient en 1996. Et ce n’est pas pour informer. C’est pour convaincre. Pour créer un besoin là où il n’en existait pas. Et ce besoin, il est souvent orienté vers les médicaments de marque, même quand une version générique existe.

Les génériques, invisibles dans les pubs

Vous avez déjà vu une publicité pour un générique ? Probablement pas. Les génériques n’ont pas de budget pour des spots à 500 000 dollars. Ils n’ont pas de nom accrocheur. Pas de scènes de familles heureuses. Pas de musique émotionnelle. Ils sont simplement des molécules, sans histoire. Et dans un monde où la mémoire est faite d’émotions, les génériques perdent d’avance.

Les publicités pour les médicaments de marque utilisent des techniques de marketing très précises : des images de nature, des personnes âgées actives, des sourires, des voix apaisantes. Elles montrent rarement les effets secondaires, et quand elles les montrent, c’est en petits caractères, en fond sonore atténué. Une étude de la FDA en 2018 a montré que même après quatre vues d’une même publicité, la majorité des patients retenaient mal les risques - et encore moins les alternatives génériques.

Les patients demandent, les médecins prescrivent

En 2005, une étude publiée dans JAMA a testé une simple hypothèse : si un patient demande un médicament de marque, le médecin le prescrit-il ? Les résultats ont été clairs : oui. Beaucoup plus souvent que s’il n’y avait aucune demande.

Des patients simulés ont été envoyés chez 152 médecins. Certains ont demandé un médicament de marque, d’autres ont demandé simplement « un traitement pour la dépression », d’autres n’ont rien demandé. Résultat : les médecins ont prescrit le médicament demandé dans 87 % des cas quand le patient avait cité le nom de marque. Dans seulement 42 % des cas quand la demande était vague. Et dans 12 % des cas quand il n’y avait aucune demande.

Le problème ? Ces demandes sont souvent guidées par la publicité. Une étude de l’Université du Montana a montré que 69 % des demandes de traitements motivées par la publicité étaient jugées inappropriées par les médecins. C’est-à-dire : le patient voulait un médicament cher, alors qu’un générique aurait fait l’affaire - ou même qu’un changement de mode de vie aurait été plus efficace.

Patient pointant vers une publicité télévisée dans un cabinet médical, un générique simple posé sur le bureau.

La « spillover effect » : quand la publicité fait vendre les génériques… sans le vouloir

Il y a un paradoxe étonnant. Même si la publicité vise les médicaments de marque, elle augmente aussi la consommation des génériques. Comment ? Par un effet de bord appelé « spillover effect ».

Quand un patient voit une pub pour Lipitor, il demande à son médecin un traitement contre le cholestérol. Le médecin, sachant que le générique est aussi efficace, lui prescrit une version générique. Le patient ne sait pas qu’il a reçu un générique. Il pense avoir pris ce qu’il a vu à la télé. Et le laboratoire a gagné : il a fait monter la demande pour toute la classe thérapeutique.

Des chercheurs de la Wharton School ont calculé qu’une augmentation de 10 % de la publicité pour un médicament de marque entraîne une hausse de 5 % des prescriptions dans la même catégorie. Mais seulement 30 % de cette hausse vient d’une meilleure observance des patients déjà traités. Les 70 % restants viennent de nouveaux patients - souvent ceux pour qui le traitement est moins nécessaire.

Les génériques, victimes de la désinformation

Les publicités ne disent pas que les génériques sont identiques. Elles ne disent pas qu’ils sont testés par la même agence (la FDA), qu’ils contiennent la même molécule, à la même dose, dans les mêmes conditions. Elles ne disent rien. Et le silence, dans ce contexte, est une forme de mensonge.

Les patients croient que les génériques sont « moins bons » parce qu’ils sont moins chers. C’est une logique fausse, mais très répandue. On pense que le prix reflète la qualité. Dans la plupart des cas, c’est l’inverse : le prix reflète le coût de la publicité, pas la puissance du médicament.

Un patient qui prend un générique pour son hypertension ne le sait souvent pas. Il voit une pilule blanche, sans logo. Il pense que c’est un médicament de qualité inférieure. Il arrête de le prendre. Il revient chez le médecin. Et là, il demande le médicament de marque qu’il a vu à la télé. Le cycle recommence.

Le coût réel : plus d’argent, moins de santé

Chaque dollar dépensé en publicité pharmaceutique rapporte plus de 4 dollars en ventes. C’est un modèle économique extrêmement rentable. Mais qui paie ? Ce n’est pas le laboratoire. Ce sont les systèmes de santé, les assureurs, et surtout les patients - qui paient des franchises plus élevées, des coûts de copaiement plus lourds, ou qui se retrouvent avec des factures qu’ils ne peuvent pas couvrir.

Les études montrent que les patients qui commencent un traitement à cause d’une publicité ont une observance plus faible que les autres. Ils ne prennent pas leur médicament aussi régulièrement. Pourquoi ? Parce qu’ils ne sont pas motivés par une nécessité médicale, mais par une émotion passagère. La pub leur a fait croire qu’ils avaient un problème, et qu’une solution existait. Mais quand la publicité disparaît, le besoin aussi.

Le résultat ? Une augmentation des dépenses de santé, sans amélioration réelle de la santé publique. Des milliards dépensés pour vendre des pilules, pas pour soigner mieux.

Balançoire géante comparant un médicament de marque orné de publicités à un générique simple mais lumineux, soutenu par des symboles scientifiques.

Et en France ? Pourquoi cette publicité n’existe pas

En France, la loi interdit la publicité directe aux consommateurs pour les médicaments sur ordonnance. Les médecins sont les seuls à recevoir les informations des laboratoires. Et même là, les règles sont strictes : pas d’émotion, pas de scènes de vie, pas de musique. Juste les faits : indication, posologie, effets secondaires.

Est-ce parfait ? Non. Les laboratoires trouvent d’autres moyens de toucher les patients : via des sites web, des associations de patients, des campagnes de sensibilisation à des maladies. Mais au moins, la pression directe pour demander un médicament de marque est absente. Les médecins peuvent prescrire en toute liberté. Et les génériques représentent plus de 70 % des prescriptions en France - contre moins de 20 % aux États-Unis.

Que faire face à cette manipulation ?

Si vous vivez aux États-Unis ou en Nouvelle-Zélande, voici ce que vous pouvez faire :

  • Ne jamais demander un médicament parce que vous l’avez vu à la télé. Demandez plutôt : « Quelle est la meilleure option pour moi, en termes de sécurité et de coût ? »
  • Asseyez-vous avec votre médecin et demandez : « Y a-t-il un générique ? Est-il aussi efficace ? »
  • Ne confondez pas prix et qualité. Un générique n’est pas un « substitut ». C’est la même molécule, dans la même forme, avec les mêmes garanties.
  • Si vous voyez une publicité, notez le nom du médicament, puis allez sur le site de la FDA ou d’une association de patients pour vérifier les alternatives.

La publicité ne vous rend pas plus intelligent. Elle vous rend plus émotionnel. Et dans la santé, les émotions peuvent vous coûter cher - et parfois, votre santé.

Le futur : vers une publicité plus honnête ?

Les régulateurs commencent à se poser des questions. Peut-on exiger que les publicités mentionnent systématiquement les génériques disponibles ? Peut-on obliger les laboratoires à montrer les prix ? Peut-on limiter la fréquence des spots pour éviter la surcharge cognitive ?

La réponse n’est pas simple. La publicité peut aider à sensibiliser à des maladies sous-diagnostiquées. Mais ce potentiel est noyé dans un océan de marketing agressif qui favorise les profits, pas la santé.

Le vrai progrès ne viendra pas d’une nouvelle loi. Il viendra d’une prise de conscience : les génériques ne sont pas une alternative. Ils sont la norme. Et la publicité n’a pas le droit de les effacer de notre esprit.

Pourquoi les génériques ne sont-ils jamais publicisés ?

Les génériques ne sont pas publicisés parce qu’ils n’ont pas de marque à défendre. Ils sont fabriqués après l’expiration du brevet d’un médicament de marque, et leur coût de production est très faible. Les laboratoires ne dépensent pas d’argent pour les promouvoir, car ils ne gagnent pas assez sur chaque pilule pour rentabiliser une campagne publicitaire. En revanche, les médicaments de marque ont besoin de générer des revenus élevés pour couvrir les coûts de recherche, de développement et de marketing - et la publicité est une partie essentielle de ce modèle.

Les génériques sont-ils aussi efficaces que les médicaments de marque ?

Oui. Par définition, un générique doit contenir la même molécule active, à la même dose, dans la même forme pharmaceutique, et démontrer une biodisponibilité équivalente à celle du médicament de marque. Il est soumis aux mêmes normes de qualité, de sécurité et d’efficacité par les agences de régulation, comme la FDA aux États-Unis ou l’ANSM en France. Des études indépendantes montrent que les taux d’efficacité et d’observance sont identiques entre génériques et médicaments de marque.

La publicité pharmaceutique augmente-t-elle la santé publique ?

Elle augmente la consommation de médicaments, mais pas nécessairement la santé. Des études montrent que les patients qui commencent un traitement à cause d’une publicité sont moins enclins à le suivre régulièrement. Ils sont souvent des personnes pour qui le traitement n’est pas essentiel. Le résultat : plus de dépenses, plus de prescriptions inutiles, et peu d’amélioration réelle des résultats de santé. La sensibilisation à une maladie est un bénéfice potentiel, mais il est largement compensé par la surmédicalisation et la déformation des choix thérapeutiques.

Pourquoi les médecins prescrivent-ils ce que les patients demandent, même si ce n’est pas le meilleur choix ?

Les médecins sont souvent sous pression. Une consultation dure en moyenne 10 à 15 minutes. Si un patient insiste pour un médicament spécifique - surtout s’il le cite comme « celui que j’ai vu à la télé » -, il est plus facile de prescrire que de discuter longuement. C’est une forme de compromis pour gagner du temps. Mais ce compromis a un coût : il détourne les médecins de leur jugement clinique. Des études montrent que jusqu’à 70 % des demandes motivées par la publicité sont jugées inappropriées par les médecins eux-mêmes.

La France interdit cette publicité. Est-ce mieux ?

Oui, sur plusieurs points. En France, les génériques représentent plus de 70 % des prescriptions, contre moins de 20 % aux États-Unis. Les patients ne sont pas influencés par des spots télévisés. Les médecins prescrivent selon les preuves scientifiques, pas selon les demandes émotionnelles. Les coûts de santé sont plus maîtrisés. Ce n’est pas un système parfait - les laboratoires trouvent d’autres moyens d’influencer les pratiques - mais il est beaucoup plus rationnel et centré sur la santé publique que le modèle américain.