Insuffisance rénale aiguë : perte soudaine de fonction et récupération
déc., 19 2025
L’insuffisance rénale aiguë (IRA), maintenant appelée lésion rénale aiguë (LRA), n’est pas une maladie en soi, mais un signal d’alarme du corps. C’est une chute brutale de la capacité des reins à filtrer le sang, qui peut se produire en quelques heures ou jours. Contrairement à ce que beaucoup pensent, elle ne touche pas seulement les personnes âgées ou déjà malades. Même un jeune en bonne santé peut la développer après une déshydratation sévère, une infection ou un médicament mal utilisé. Ce qui la rend dangereuse, c’est qu’elle peut passer inaperçue - jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
Comment reconnaître une lésion rénale aiguë ?
Le symptôme le plus connu est une baisse du volume d’urine. On parle d’oligurie quand on produit moins de 400 mL par jour, ou d’anurie quand c’est moins de 100 mL. Mais attention : un tiers des patients n’ont pas ce signe. Ils urinent normalement, pourtant leurs reins sont en train de lâcher. C’est pourquoi les médecins ne se fient pas uniquement à l’urine. Ils regardent la créatinine dans le sang. Si elle augmente de 0,3 mg/dL en 48 heures, ou de 50 % en une semaine, c’est une LRA.
D’autres signes sont plus visibles : un gonflement des chevilles (œdème) chez 68 % des patients, une fatigue extrême chez 75 %, des nausées chez 58 %, et parfois même des douleurs thoraciques si le cœur est affecté. Chez les personnes âgées, la confusion peut être le seul symptôme. Et dans 22 % des cas, la LRA est découverte par hasard, lors d’une analyse de sang routine. C’est là que le vrai risque réside : on ne la voit pas, mais elle fait des dégâts.
Les trois causes principales - et ce qu’elles veulent dire
La LRA n’a pas une seule cause. Elle vient de trois directions différentes, et chaque type demande une réponse différente.
- Prérénal (60-70 % des cas) : les reins ne reçoivent pas assez de sang. C’est souvent dû à une chute de la pression artérielle, une perte de liquide (vomissements, diarrhée, transpiration excessive), ou une insuffisance cardiaque. Le rein n’est pas endommagé - il manque simplement de carburant. Si on réhydrate vite, il se rétablit en 24 à 48 heures.
- Intrarénal (25-35 %) : les reins sont endommagés en interne. La cause la plus fréquente ? La nécrose tubulaire aiguë, souvent provoquée par des médicaments comme les antibiotiques de la famille des aminoglycosides, les produits de contraste pour les scanners, ou des maladies comme le lupus. Là, la récupération prend des semaines, et parfois, les dégâts sont permanents.
- Postrénal (5-10 %) : quelque chose bloque l’écoulement de l’urine. Chez les hommes de plus de 60 ans, c’est souvent une hypertrophie de la prostate. Chez les deux sexes, ce peuvent être des calculs rénaux ou une tumeur. Dès que l’obstruction est retirée (par un stent ou une sonde), les reins reprennent souvent leur fonction en quelques jours.
La clé ? Identifier la cause. Un simple échographie rénale, faite dans 85 % des cas, peut révéler si les reins sont obstrués ou s’ils sont de taille réduite - un signe de déshydratation chronique.
Les complications qui peuvent tuer
Si la LRA n’est pas traitée, les déchets s’accumulent dans le sang. Le potassium monte en flèche : plus de 5,5 mmol/L, c’est une urgence. Le cœur peut déraper, arrêter. Le liquide s’accumule dans les poumons : 42 % des patients hospitalisés ont des difficultés à respirer. L’acidose métabolique, avec un taux de bicarbonate inférieur à 20, frappe 35 % des cas. Et si ça continue, le cœur peut s’enflammer (péritonite péricardique), ce qui provoque des douleurs thoraciques intenses.
Et ce n’est pas fini. Même après la guérison, le risque ne disparaît pas. Un tiers des survivants développent une maladie rénale chronique dans l’année. Chaque épisode de LRA augmente le risque d’insuffisance rénale terminale par 8,2 fois. Et si vous avez eu besoin de dialyse, seuls 25 % retrouvent une fonction rénale complète après trois mois.
Comment on diagnostique ?
Le diagnostic repose sur trois critères, définis par les lignes directrices KDIGO en 2012 :
- Augmentation de la créatinine de 0,3 mg/dL ou plus en 48 heures
- Augmentation de 50 % ou plus par rapport à la valeur de base en 7 jours
- Urine produite à moins de 0,5 mL/kg/h pendant 6 heures
On complète avec d’autres tests : le taux d’urée (BUN), la fraction d’excrétion du sodium (FeNa). Si elle est inférieure à 1 %, c’est probablement prérénal. Si elle dépasse 2 %, c’est un dommage rénal direct. Une échographie rénale est presque toujours faite pour vérifier la taille des reins et chercher une obstruction. Pour les calculs, une tomodensitométrie (TDM) a une précision de 95 %.
Comment on traite ?
Le traitement dépend de la cause.
- Pour la forme prérénale : on donne des liquides. En général, 500 à 1000 mL de sérum physiologique en bolus. 70 % des patients se rétablissent en 24 à 48 heures.
- Pour la forme intrarénale : on arrête les médicaments toxiques. Si c’est une inflammation (comme une glomérulonéphrite), on utilise des corticoïdes. Pour certaines maladies rares comme le syndrome hémolytique et urémique, la plasmaphérèse, si elle est faite dans les 24 heures, réussit dans 80 % des cas.
- Pour la forme postrénale : on débloque. Un stent urétéral dans 90 % des cas rétablit la fonction rénale immédiatement.
Dans les cas graves, quand les reins ne fonctionnent plus du tout, on passe à la dialyse. La dialyse intermittente est utilisée chez 5 à 10 % des patients hospitalisés. Dans les unités de soins intensifs, la dialyse continue (CRRT) est préférée pour les patients instables. La dialyse péritonéale est rare, réservée aux cas où on ne peut pas placer une sonde veineuse.
La récupération : ce que les chiffres ne disent pas
On dit souvent que « les reins peuvent se rétablir ». C’est vrai… mais pas toujours. Les chiffres sont clairs :
- 70 à 80 % des cas prérénaux récupèrent complètement en 7 à 10 jours.
- Entre 40 et 60 % des cas intrarénaux retrouvent une partie ou la totalité de leur fonction, mais cela prend 2 à 6 semaines.
- Seuls 20 à 30 % des patients avec une nécrose tubulaire sévère et une oligurie prolongée (plus de 14 jours) retrouvent une fonction normale.
Et les facteurs qui rendent la récupération plus difficile ? L’âge (plus de 65 ans), une fonction rénale déjà réduite avant l’épisode (eGFR < 60), une LRA qui dure plus de 7 jours, et surtout, avoir eu besoin de dialyse. Ceux-là ont seulement 25 % de chances de retrouver une fonction rénale complète après trois mois.
Et puis il y a ce que les chiffres ne mesurent pas : la fatigue rénale. Une enquête de 2022 sur 1 247 survivants a montré que 68 % ont ressenti une épuisement chronique pendant 3 à 6 mois après la sortie. 42 % ont développé une anxiété persistante sur leur santé rénale. Un patient sur trois a dû prendre un congé de travail temporaire parce qu’il ne pouvait plus marcher plus de 50 mètres sans s’arrêter.
Le futur : des outils pour voir plus tôt
On ne peut pas guérir ce qu’on ne voit pas. C’est pourquoi la recherche se concentre sur la détection précoce. Des marqueurs urinaires comme le NGAL (neutrophil gelatinase-associated lipocalin) peuvent prédire une LRA jusqu’à 48 heures avant que la créatinine ne monte. Les nouveaux biomarqueurs TIMP-2 et IGFBP7, testés chez les enfants, prédisent la gravité avec 85 % de précision 12 heures avant les symptômes.
Des algorithmes d’intelligence artificielle analysent maintenant les dossiers médicaux électroniques pour prédire qui va développer une LRA - avec 75 % de précision, 12 à 24 heures à l’avance. Des essais comme le STARRT-AKI montrent que commencer la dialyse plus tôt chez les patients les plus gravement atteints réduit la mortalité de 9 %.
Et pourtant, la meilleure arme reste la vigilance. Dans les hôpitaux, surveiller la créatinine tous les 24 à 48 heures chez les patients à risque, mesurer les urines toutes les heures en soins intensifs, et activer des alertes automatiques dans les systèmes informatiques ont déjà réduit la mortalité de 12 %.
Que faire si vous pensez en être atteint ?
Si vous avez eu une infection récente, des vomissements prolongés, ou si vous avez pris des médicaments comme des anti-inflammatoires ou des antibiotiques, et que vous vous sentez très fatigué, que vos chevilles sont gonflées, ou que vous urinez peu - allez voir un médecin. Ne patientez pas. La fenêtre d’intervention est courte : souvent, seulement 6 à 12 heures entre le début du dommage et une atteinte irréversible.
Et si vous avez survécu à une LRA ? Suivez-vous. Consultez un néphrologue dans les six mois. Faites contrôler votre créatinine et votre pression artérielle. Évitez les médicaments nocifs. Buvez suffisamment. Vos reins ont été éprouvés. Ils méritent une seconde chance.
L’insuffisance rénale aiguë peut-elle disparaître complètement ?
Oui, dans de nombreux cas, surtout si la cause est prérénale (comme une déshydratation) et si le traitement est rapide. Jusqu’à 80 % des patients avec une forme prérénale retrouvent une fonction rénale normale en moins de 10 jours. Mais si la lésion est intrarénale (dommage direct aux reins) ou si elle a duré plus de 7 jours, la récupération est moins complète. Dans 23 % des cas, une insuffisance rénale chronique apparaît dans l’année suivant l’épisode.
Les médicaments courants comme l’ibuprofène peuvent-ils causer une lésion rénale aiguë ?
Oui. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) comme l’ibuprofène, le naproxène ou l’aspirine à forte dose peuvent réduire le flux sanguin vers les reins, surtout chez les personnes déshydratées, âgées, ou avec une maladie rénale préexistante. Ils sont responsables de 10 à 15 % des cas de LRA dans les communautés. Il ne faut pas les prendre à long terme sans avis médical, surtout en cas de fièvre, de diarrhée ou de perte d’appétit.
Pourquoi certains patients urinent normalement malgré une LRA ?
Parce que la LRA ne signifie pas toujours une baisse de la production d’urine. Dans les cas postrénaux, comme une obstruction des uretères, les reins produisent encore de l’urine, mais elle ne peut pas s’écouler. Le corps ne sait pas qu’il y a un blocage - il continue de faire de l’urine, qui s’accumule et endommage les reins. C’est pourquoi l’échographie est cruciale : elle montre si les reins sont dilatés, même si l’urine sort normalement.
Quelle est la différence entre une LRA et une insuffisance rénale chronique ?
La LRA est une chute brutale de la fonction rénale, sur des heures ou des jours. Elle est souvent réversible. L’insuffisance rénale chronique, elle, est une perte progressive et irréversible sur des mois ou des années, généralement causée par le diabète, l’hypertension ou la maladie rénale glomérulaire. Une LRA peut devenir chronique si elle n’est pas bien traitée - c’est pourquoi chaque épisode compte.
Faut-il toujours faire une dialyse en cas de LRA ?
Non. La dialyse n’est nécessaire que dans les cas graves : quand il y a un excès de potassium, une acidose sévère, un œdème pulmonaire ou une urémie (accumulation de déchets toxiques). La majorité des patients (90 %) ne la nécessitent pas. La dialyse est un soutien temporaire, pas une solution. Son but est de laisser les reins se reposer et se rétablir, pas de les remplacer pour toujours.