Réconciliation médicamenteuse : Mettre à jour les listes entre les différents contextes de soins

Réconciliation médicamenteuse : Mettre à jour les listes entre les différents contextes de soins déc., 23 2025

Chaque fois qu’un patient passe d’un service à un autre - qu’il soit admis à l’hôpital, transféré vers une unité de soins intensifs, ou renvoyé chez lui après une hospitalisation - un risque majeur survient : la réconciliation médicamenteuse mal faite. Ce n’est pas une simple formalité administrative. C’est un point critique où des vies peuvent se sauver… ou se perdre. En France comme aux États-Unis, jusqu’à 70 % des transitions de soins contiennent des erreurs sur les médicaments. Et dans un tiers de ces cas, ces erreurs causent un préjudice réel au patient.

Qu’est-ce que la réconciliation médicamenteuse ?

La réconciliation médicamenteuse, c’est le processus qui consiste à comparer la liste complète des médicaments qu’un patient prend vraiment - à la maison - avec les ordonnances qui lui sont données dans un nouvel environnement de soins. Ce n’est pas juste vérifier si le patient prend de l’aspirine ou du bisoprolol. C’est s’assurer que le bon médicament, à la bonne dose, à la bonne fréquence, par la bonne voie, est prescrit au bon moment. Et surtout, que rien n’est oublié, doublé ou mal ajusté.

Le concept a été formalisé en 2005 par l’Institute for Healthcare Improvement (IHI), puis rendu obligatoire en 2006 par The Joint Commission aux États-Unis. En France, même si la réglementation n’est pas aussi stricte, les bonnes pratiques sont clairement définies par l’ANSM et les recommandations de la Haute Autorité de santé. L’objectif ? Réduire les événements indésirables liés aux médicaments (EIM), qui représentent 6,5 % des admissions à l’hôpital selon l’AHRQ. Autrement dit : un patient sur quinze qui entre à l’hôpital est admis à cause d’une erreur sur ses médicaments.

Les cinq étapes incontournables

La réconciliation ne se fait pas à l’arrache. Elle suit un processus en cinq étapes, reconnu internationalement comme la norme de référence :

  1. Établir la meilleure liste possible des médicaments actuels (BPMH) : Cela implique d’interroger le patient, de contacter son pharmacien de ville, de consulter son dossier médical partagé, et même de parler aux aidants familiaux. Un patient peut dire qu’il prend « un comprimé bleu » - mais sans savoir que c’est du losartan 50 mg.
  2. Établir la liste des médicaments prévus dans le nouveau contexte : Ce sont les ordonnances que le médecin ou l’équipe soignante souhaite prescrire à l’admission, au transfert ou à la sortie.
  3. Comparer les deux listes : Là où les erreurs surgissent. Une dose trop élevée ? Un médicament prescrit deux fois ? Un traitement arrêté sans justification ?
  4. Prendre des décisions cliniques : Ne pas juste noter les différences, mais les résoudre. Pourquoi arrêter ce diurétique ? Pourquoi ajouter ce nouvel anticoagulant ? Toutes les décisions doivent être justifiées et documentées.
  5. Communiquer la liste mise à jour : À l’équipe soignante, au pharmacien de ville, au patient… et surtout, en clair, sans jargon. Si le patient ne comprend pas ce qu’il doit prendre, la réconciliation a échoué.

Une étude publiée dans le Journal of the American Pharmacists Association montre que si on se fie uniquement au patient pour établir sa liste de médicaments, 42 % des informations sont erronées. C’est pourquoi il faut toujours croiser au moins deux sources : le patient, le pharmacien, le dossier électronique, ou les factures de remboursement.

Qui fait quoi ? Le rôle des pharmaciens

La réconciliation médicamenteuse n’est pas une tâche pour n’importe qui. Elle exige une expertise pharmacologique fine. L’American Society of Health-System Pharmacists (ASHP) le dit clairement : « Les pharmaciens sont les experts des médicaments. Leur rôle est essentiel lors des transitions de soins. »

À l’hôpital, un pharmacien formé à la réconciliation peut réduire les erreurs de 47 % par rapport à un infirmier seul. Dans les établissements où les pharmaciens sont intégrés directement dans les équipes de soins, les erreurs de médication chutent de 67 %, selon une méta-analyse du BMJ Quality & Safety. Et les résultats se voient : à Mayo Clinic, un programme piloté par des pharmaciens a évité plus de 1 200 événements indésirables par an et réduit les réadmissions de 18 %.

Pourtant, dans de nombreux hôpitaux français, cette fonction est encore confiée aux infirmiers ou aux aides-soignants, faute de ressources. Résultat ? Des listes incomplètes, des oublis, des conflits de traitements. Un infirmier sur deux déclare, dans une enquête de l’American Nurses Association, qu’il procède parfois à une réconciliation incomplète… faute de temps.

Un pharmacien et une infirmière comparent des listes de médicaments dans un couloir hospitalier ensoleillé.

Les défis du terrain

Le système est loin d’être parfait. Les principaux obstacles sont réels et répétés :

  • Les systèmes informatiques fragmentés : Un patient peut avoir son dossier dans l’EHR de l’hôpital, un autre dans celui de son médecin traitant, et ses ordonnances dans le réseau Surescripts (aux États-Unis) ou dans le DMP en France. Mais ces systèmes ne communiquent pas toujours. 76 % des hôpitaux rapportent des difficultés d’intégration.
  • La faible littératie santé : 80 millions d’Américains ont une faible compréhension des instructions médicales. En France, le problème est similaire. Un patient âgé ne sait pas toujours nommer ses médicaments, ni pourquoi il les prend. Une étude montre que 40 à 50 % des personnes âgées ne peuvent pas décrire correctement leur traitement.
  • Le manque de temps : Une réconciliation bien faite prend entre 15 et 20 minutes à l’admission, et 10 à 15 minutes à la sortie. Mais dans les services surchargés, les équipes n’ont souvent que 5 minutes. Résultat : des raccourcis, des oublis, des erreurs.
  • Les médicaments non conventionnels : Les plantes, les compléments alimentaires, les traitements traditionnels… 52 % des patients en utilisent, selon le NCCIH. Pourtant, très peu de dossiers les incluent. Un patient prend de la valériane pour dormir ? Personne ne le note. Et si on lui prescrit un sédatif en plus ? Risque d’excès de sédation.

Un pharmacien sur Reddit, avec 12 ans d’expérience, raconte : « À la sortie, je passe 45 à 60 minutes par patient à reconstituer la liste. Parce que les ordonnances de sortie ne sont pas complètes, et que le pharmacien de ville n’a pas les infos. »

Les solutions qui marchent

Malgré les défis, certaines approches ont prouvé leur efficacité :

  • Les carnets de médicaments du patient : Une étude de l’AHRQ montre que lorsque les patients tiennent à jour un carnet avec les noms, doses et raisons de leurs médicaments, la précision de la réconciliation augmente de 27 %. Il suffit de leur en fournir un, simple, avec des cases à cocher.
  • Les outils numériques intégrés : Les systèmes comme Epic ou les plateformes dédiées comme MedsReview réduisent les erreurs en automatisant la comparaison des listes. Mais ce n’est pas une solution magique. Un outil peut détecter 15 à 25 % des interactions, mais il ne remplace pas le jugement clinique.
  • La formation spécialisée : Les équipes formées à la réconciliation, avec 8 à 12 heures de formation et une certification comme la CCPIT, obtiennent des résultats bien supérieurs. En France, des programmes pilotes dans les CHU commencent à former des « techniciens de réconciliation ».
  • La communication avec le pharmacien de ville : Lorsque l’hôpital envoie une liste complète des changements au pharmacien de confiance du patient dans les 24 heures, les erreurs à la sortie baissent de 40 %. Pourtant, seulement 43 % des résumés de sortie contiennent une liste complète, selon les données CMS.
Un patient âgé range ses médicaments à la cuisine, accompagné d'une silhouette spectrale de pharmacien.

Le futur : automatisation et intelligence artificielle

Les technologies émergentes ouvrent de nouvelles voies. Google DeepMind a testé un outil d’IA capable de prédire les erreurs de médication avec 89 % de précision dans un hôpital londonien. Mais l’IA ne décide pas. Elle alerte. L’humain reste le garant de la sécurité.

En 2023, l’ONC aux États-Unis a mis en place la version 4 du USCDI, qui standardise les données de réconciliation pour qu’elles soient transférables entre systèmes. En France, le DMP pourrait un jour intégrer automatiquement les changements de traitement à la sortie, mais cela demande une coordination nationale encore en construction.

Le grand défi ? Ne pas transformer la réconciliation en simple case à cocher. Comme le souligne le Dr Gordon Schiff de Harvard : « Beaucoup de services font la réconciliation… mais pas la bonne réconciliation. » Il ne s’agit pas de remplir un formulaire. Il s’agit de comprendre le patient, de vérifier avec lui, de questionner les ordonnances, de dialoguer avec les autres professionnels.

Et maintenant ? Que faire ?

Si vous êtes patient : demandez à ce que votre liste de médicaments soit vérifiée à chaque changement de service. Apportez vos boîtes, votre carnet, ou une photo de vos ordonnances. Ne dites pas « je prends tout ce que le médecin m’a donné ». Nommez-les.

Si vous êtes professionnel de santé : intégrez la réconciliation comme une étape clé, pas une formalité. Formez-vous. Utilisez les outils disponibles. Faites appel aux pharmaciens. Et surtout, parlez avec le patient - pas seulement à l’écran.

La réconciliation médicamenteuse n’est pas une tâche technique. C’est une question de respect. De dignité. De sécurité. Et c’est une responsabilité partagée - entre le patient, le médecin, le pharmacien, l’infirmier, et le système.

Quelle est la différence entre réconciliation médicamenteuse et revue médicamenteuse ?

La réconciliation médicamenteuse est un processus ciblé, effectué uniquement lors d’une transition de soins - admission, sortie, transfert. Elle vise à éviter les erreurs en comparant deux listes. La revue médicamenteuse, elle, est une évaluation globale du traitement, effectuée lors d’une consultation de suivi, pour voir si les médicaments sont toujours utiles, efficaces ou sûrs. Elle ne se fait pas à chaque changement de lieu de soins.

Pourquoi les patients oublient-ils souvent leurs médicaments ?

Plusieurs raisons : les traitements sont complexes (plus de 5 médicaments par jour), les noms sont difficiles à retenir, les boîtes sont similaires, ou le patient n’a pas compris pourquoi il les prend. Les personnes âgées, en particulier, ont souvent une mémoire fragile ou des troubles visuels. Ce n’est pas de la négligence - c’est un problème de conception du système de soins.

Les médicaments naturels ou les compléments sont-ils pris en compte ?

Oui, et c’est crucial. Les plantes comme l’hypericum (millepertuis), les vitamines en forte dose, ou les produits à base de ginkgo peuvent interagir avec les médicaments prescrits. Pourtant, 80 % des professionnels ne les demandent pas systématiquement. Depuis 2023, les normes de sécurité exigent leur inclusion dans la liste de réconciliation - même si, dans la pratique, c’est encore rare.

Quels sont les signes qu’une réconciliation a échoué ?

Le patient se plaint de nouveaux effets secondaires après une sortie, il arrête un traitement sans avis, il reprend un médicament qu’on lui a retiré, ou il ne sait pas ce qu’il doit prendre. Un taux élevé de réadmissions dans les 30 jours après une hospitalisation est aussi un indicateur fort d’échec de réconciliation.

Comment savoir si mon hôpital fait bien la réconciliation ?

Demandez : « Qui vérifie ma liste de médicaments à mon arrivée ? » et « Qui m’explique les changements à ma sortie ? » Si la réponse est « un infirmier » sans mention de pharmacien, ou si personne ne vous demande vos boîtes ou votre carnet, il y a un risque. Un bon service vous remet une liste écrite, signée, avec les raisons des changements, et vous explique tout à voix haute - pas seulement en vous donnant un papier.