Suppléments et interactions médicamenteuses : les produits herbals et la sécurité
déc., 5 2025
Vous prenez un médicament sur ordonnance, et vous ajoutez aussi une infusion de St-John's wort pour mieux dormir. Ou peut-être un complément de ginkgo biloba pour améliorer votre mémoire. Vous pensez que puisque c’est « naturel », c’est sans risque. Mais ce n’est pas vrai. Ces produits herbals peuvent rendre vos médicaments inefficaces - ou pire, les rendre dangereux.
Les interactions cachées qui tuent
Les interactions entre les suppléments herbals et les médicaments ne sont pas une hypothèse théorique. Ce sont des événements réels, documentés, et parfois mortels. En 2017, une étude menée à l’Université de Florence a montré que près de la moitié des patients prenant des médicaments prescrits utilisaient aussi des remèdes à base de plantes. Et dans plus de 70 % des cas, les médecins ne le savaient pas.Le problème ? Les plantes ne sont pas inoffensives. Elles agissent comme des médicaments. Elles modifient la façon dont votre corps absorbe, métabolise ou élimine les substances chimiques. L’un des systèmes les plus touchés est le cytochrome P450, une famille d’enzymes qui traite environ 50 % de tous les médicaments. Si une plante active ou bloque ces enzymes, votre traitement peut devenir inutile - ou toxique.
St-John's wort : le roi des interactions
Aucun supplément herbals ne cause autant de problèmes que le St-John's wort. Il est connu pour induire deux mécanismes clés : le CYP3A4 et le transporteur P-glycoprotéine. Ce qui signifie qu’il accélère l’élimination de nombreux médicaments. Résultat : leur concentration dans le sang chute de 20 à 70 %.Un patient transplanté qui prend du cyclosporine pour éviter le rejet de son organe peut voir son taux chuter de 57 % après seulement deux semaines de St-John's wort. Risque : rejet immédiat. Un patient sous contraceptifs oraux peut tomber enceinte sans comprendre pourquoi. Un patient traité pour le VIH avec des inhibiteurs de protéase voit son traitement réduit de 40 à 80 % - ce qui favorise la résistance virale.
En 2018, le Dr Paul Offit, spécialiste des maladies infectieuses à Philadelphie, a déclaré : « Le St-John's wort est le roi des interactions médicamenteuses. Il peut rendre des dizaines de médicaments inutiles. » Et ce n’est pas une exagération. Les études cliniques confirment chaque année de nouveaux cas. Pourtant, les gens continuent à l’acheter en libre-service, sans jamais en parler à leur médecin.
Ginkgo biloba : le piège du « bien-être »
Le ginkgo biloba est souvent pris pour améliorer la mémoire, la concentration ou la circulation. Mais il inhibe les enzymes CYP2C19 et CYP2C9. Cela signifie qu’il ralentit la dégradation de certains médicaments, ce qui augmente leur concentration dans le sang.Prenez de l’oméprazole (pour le reflux) ou du phénytoïne (pour les crises d’épilepsie) ? Le ginkgo peut augmenter leur taux de 20 à 40 %. Et si vous prenez de la warfarine, un anticoagulant ? Le risque de saignement augmente de 30 %. Des médecins en France et aux États-Unis ont rapporté des cas de saignements internes après que des patients ont commencé à prendre du ginkgo sans en parler à leur médecin.
Une étude de 2009, regroupant 1 200 patients, a montré que les interactions ginkgo-warfarin étaient responsables de 3 à 5 saignements graves par an dans les hôpitaux. Pourtant, 68 % des utilisateurs de suppléments ne disent jamais à leur médecin ce qu’ils prennent. Ce n’est pas de la négligence - c’est de l’ignorance. Beaucoup croient encore que « naturel » = « sûr ».
Danshen, ginseng et autres pièges
Le danshen (Salvia miltiorrhiza), une plante chinoise utilisée pour la santé cardiaque, augmente le risque de saignement avec les anticoagulants. Il inhibe l’agrégation plaquettaire de 25 à 30 %. Et si vous le prenez avec de la digoxine, un médicament pour le cœur ? Le risque d’arythmie augmente de 35 %.Le ginseng américain peut réduire l’effet de la warfarine. Une étude en 2011 a montré qu’un patient prenant 1 000 mg de ginseng par jour a vu son INR (mesure de la coagulation) chuter de 4,9 à 1,9 - un saut dangereux qui augmente le risque de caillot. Pourtant, les médecins le confondent souvent avec le ginseng asiatique, et les études sont parfois contradictoires.
Le goldenseal est un autre piège. Il bloque les enzymes CYP3A4 et CYP2D6. Résultat : les médicaments comme le dextrométhorphane (pour la toux) ou le métoprolol (pour la pression artérielle) s’accumulent dans le sang. Un excès de dextrométhorphane peut provoquer des convulsions, une respiration lente, voire un coma. Une revue de 2020 a identifié 23 interactions dangereuses avec ce supplément.
Le paradoxe du marché
Le marché mondial des suppléments herbals a dépassé 104 milliards de dollars en 2023. En France, les ventes augmentent chaque année. Pourtant, seulement 15 % des produits vendus aux États-Unis mentionnent un avertissement sur les interactions. Et la loi américaine de 1994 (DSHEA) n’exige pas de test préalable à la mise sur le marché pour vérifier ces risques.Les consommateurs croient à tort que « naturel » signifie « sûr ». Une enquête de 2023 montre que 77 % des utilisateurs pensent que les suppléments herbals sont plus sûrs que les médicaments sur ordonnance. Pourtant, 62 % d’entre eux prennent déjà des médicaments prescrits. Le résultat ? Un mélange explosif.
Comment se protéger ?
La solution n’est pas de cesser les suppléments. C’est de les déclarer. Voici ce que vous devez faire :- Écrivez la liste de TOUT ce que vous prenez : médicaments, vitamines, tisanes, huiles essentielles, extraits de plantes.
- Montrez cette liste à votre médecin à chaque consultation - même si vous pensez que ce n’est pas important.
- Si votre médecin ne connaît pas un produit, demandez-lui de consulter une base de données comme celle du Mayo Clinic ou de la National Center for Complementary and Integrative Health.
- Ne commencez jamais un nouveau supplément sans en parler à votre médecin ou à votre pharmacien.
Les hôpitaux qui posent des questions précises - comme « Prenez-vous des thés, des herbes ou des produits naturels ? » - identifient 35 % de plus de patients à risque que ceux qui demandent simplement : « Prenez-vous des suppléments ? »
Les nouvelles avancées
Les choses commencent à changer. En 2023, la FDA a publié un projet de directive demandant que les nouveaux produits à base de plantes soient testés pour leurs interactions. L’Agence européenne des médicaments exige désormais des études complètes pour les produits phytothérapeutiques. Et des outils d’intelligence artificielle, comme l’« Herb-Drug Interaction Prediction Engine » de l’Université de Californie, peuvent prédire de nouvelles interactions avec 87 % de précision.Malgré tout, une revue de 2024 montre que seulement 3 % des médecins généralistes interrogent systématiquement leurs patients sur les suppléments herbals. Ce n’est pas une faute des patients. C’est une faute du système. Les professionnels de santé doivent apprendre à poser les bonnes questions. Et les patients doivent apprendre à répondre honnêtement.
Le message clé
Les suppléments herbals ne sont pas des bonbons. Ce sont des substances actives. Elles interagissent avec vos médicaments. Elles peuvent vous sauver - ou vous tuer. La sécurité ne vient pas du fait que quelque chose est « naturel ». Elle vient de la connaissance. De la transparence. De la communication.Si vous prenez un médicament, et que vous prenez aussi une plante, vous êtes à risque. Pas parce que vous êtes irresponsable. Parce que personne ne vous a dit la vérité. Il est temps de changer ça.
Le St-John's wort peut-il vraiment rendre mes médicaments inutiles ?
Oui. Le St-John's wort active des enzymes (CYP3A4 et P-gp) qui accélèrent l’élimination de nombreux médicaments. Des études ont montré qu’il réduit de 57 % la concentration du cyclosporine chez les transplantés, de 40 à 80 % celle des traitements du VIH, et de 25 % celle de la digoxine. Cela peut entraîner un rejet d’organe, une résistance virale ou une insuffisance cardiaque.
Le ginkgo biloba est-il dangereux avec la warfarine ?
Oui. Le ginkgo biloba augmente le risque de saignement avec la warfarine de 30 %, selon une méta-analyse de 5 études impliquant 1 200 patients. Des cas de saignements internes ont été rapportés dans les hôpitaux après que des patients ont commencé à prendre du ginkgo sans en parler à leur médecin. Même une petite dose peut être dangereuse.
Les suppléments vendus en pharmacie sont-ils plus sûrs ?
Non. En France et aux États-Unis, les suppléments ne sont pas soumis aux mêmes tests que les médicaments. Ils n’ont pas besoin de prouver qu’ils sont sûrs avant d’être vendus. Seuls 15 % des produits contiennent un avertissement sur les interactions. Le fait qu’ils soient en pharmacie ne garantit pas leur sécurité.
Le ginseng américain et le ginseng asiatique sont-ils interchangeables ?
Non. Le ginseng américain (Panax quinquefolius) peut réduire l’effet de la warfarine, comme l’a montré une étude où l’INR est passé de 4,9 à 1,9. Le ginseng asiatique (Panax ginseng) peut avoir des effets opposés ou différents. Les deux sont puissants, mais leurs interactions ne sont pas les mêmes. Il est crucial de connaître la variété exacte que vous prenez.
Que faire si j’ai déjà commencé un supplément et que je prends un médicament ?
Ne l’arrêtez pas brusquement - cela peut aussi être dangereux. Notez ce que vous prenez, et parlez-en à votre médecin ou à votre pharmacien dans les 48 heures. Ils pourront évaluer le risque, surveiller vos signes vitaux ou vos analyses, et décider si vous devez arrêter, réduire ou continuer sous surveillance.
Les tisanes maison sont-elles sûres ?
Pas nécessairement. Une tisane à base de mélisse, de valériane ou de thym peut interagir avec les anxiolytiques ou les somnifères. Une tisane à la menthe poivrée peut réduire l’absorption de certains médicaments. Même les herbes du jardin peuvent avoir des effets. Si vous en buvez régulièrement, mentionnez-le à votre médecin.
Les suppléments naturels sont-ils mieux réglementés en Europe qu’aux États-Unis ?
Un peu, mais pas suffisamment. L’Agence européenne des médicaments exige désormais des études sur les interactions pour les produits phytothérapeutiques classés comme médicaments. Mais la plupart des compléments alimentaires à base de plantes sont toujours classés comme « aliments », et échappent à ces exigences. La réglementation est fragmentée, et les risques restent élevés.
Pourquoi les médecins ne parlent-ils pas de ces interactions ?
Parce que beaucoup ne sont pas formés. Une étude en 2022 a montré que 62 % des médecins ne reconnaissaient pas les interactions du ginseng américain. Les manuels de pharmacie ne couvrent pas suffisamment les produits herbals. Les médecins sont surchargés, et les patients ne parlent pas. C’est un cercle vicieux. La solution ? Poser la question directement : « Prenez-vous des herbes, des tisanes ou des compléments naturels ? »