Populations spéciales en bioéquivalence : impacts de l'âge et du sexe

Populations spéciales en bioéquivalence : impacts de l'âge et du sexe déc., 26 2025

Quand on teste si un médicament générique est équivalent à son référence, on ne se contente pas de vérifier que les ingrédients sont les mêmes. Il faut prouver qu’ils se comportent de la même manière dans le corps humain. C’est ce qu’on appelle la bioéquivalence. Mais que se passe-t-il quand les personnes qui prennent ce médicament ne sont pas des jeunes hommes en bonne santé ? Et pourtant, pendant des décennies, c’est exactement ce que les études ont fait : recruter uniquement des hommes âgés de 18 à 35 ans. Ce modèle a longtemps été considéré comme le standard. Aujourd’hui, il est dépassé - et les autorités sanitaires le savent.

Pourquoi les études de bioéquivalence ont longtemps ignoré les différences entre les sexes

Au début des années 2000, les études de bioéquivalence étaient presque exclusivement menées sur des hommes jeunes. La raison ? Ils étaient considérés comme plus « stables » sur le plan pharmacologique. Moins de variations hormonales, pas de grossesse, pas de contraception à gérer. C’était plus simple, moins cher, et plus rapide. Mais c’était aussi faux. Des médicaments comme la lévothyroxine, prise par 63 % de femmes, ou certains antidouleurs, souvent utilisés par les femmes, étaient testés sur des hommes. Résultat ? Des doses prescrites qui ne correspondaient pas à la réalité. Certaines femmes recevaient trop peu de médicament, d’autres trop. Et personne ne le savait vraiment, parce que les données n’étaient pas collectées.

Les différences entre les sexes ne sont pas anecdotiques. Les femmes ont généralement un pourcentage de graisse corporelle plus élevé, une masse musculaire plus faible, et des enzymes hépatiques qui métabolisent les médicaments différemment. Certaines études montrent que pour 37 % des médicaments couramment testés, la clairance (la vitesse à laquelle le corps élimine le principe actif) est de 15 à 22 % plus élevée chez les hommes. Cela signifie qu’un même dosage peut avoir un effet différent selon le sexe. Pourtant, pendant des années, les agences réglementaires ont accepté ces études. Ce n’est qu’en 2013 que la FDA a commencé à exiger une meilleure répartition des sexes. En 2023, elle est allée plus loin : si le médicament est destiné aux deux sexes, les études doivent inclure à peu près la même proportion d’hommes et de femmes.

L’âge : un facteur souvent négligé, pourtant critique

L’âge change tout. Le foie et les reins ne fonctionnent plus comme à 25 ans. La masse corporelle diminue, les fluides corporels se répartissent différemment. Pour un médicament comme la metformine, utilisée chez les diabétiques âgés, une dose qui fonctionne parfaitement chez un homme de 30 ans peut provoquer une hypoglycémie chez un homme de 70 ans. Pourtant, jusqu’à récemment, les études de bioéquivalence excluaient souvent les personnes âgées.

La FDA exige maintenant que les études incluent des sujets âgés de 60 ans et plus, surtout si le médicament est destiné à cette population. L’EMA, lui, n’impose pas de limite supérieure, mais demande une justification si les personnes âgées sont exclues. En pratique, peu de fabricants le font. Les sites d’essais cliniques préfèrent recruter des jeunes, plus faciles à suivre, moins de comorbidités, moins de médicaments concomitants. Mais cela crée un risque réel : un générique peut être déclaré « bioéquivalent » sur des jeunes, puis prescrit à des personnes âgées - sans qu’on sache vraiment s’il fonctionne de la même manière.

Les données le confirment : dans 40 % des études de bioéquivalence publiées entre 2015 et 2020, moins de 20 % des participants avaient plus de 50 ans. Pourtant, plus de 70 % des patients qui prennent des médicaments chroniques ont plus de 65 ans. C’est un décalage énorme entre la population réelle et la population étudiée.

Les différences entre les agences réglementaires

Chaque pays a sa propre façon de voir les choses. La FDA est la plus exigeante : elle veut une répartition équilibrée entre hommes et femmes, sauf justification scientifique solide. L’EMA, elle, dit simplement que les participants « peuvent être de l’un ou l’autre sexe » - sans exiger l’équilibre. Cela signifie qu’une étude peut être validée avec 80 % d’hommes, tant qu’elle montre que les deux formes du médicament se comportent de la même manière dans ce groupe.

ANVISA, l’agence brésilienne, va plus loin : elle impose un ratio 50/50, et exige que les participants soient âgés de 18 à 50 ans. Le Canada accepte les 18-55 ans. Tous interdisent la grossesse et exigent une contraception fiable pour les femmes en âge de procréer. Mais personne ne vérifie vraiment si les résultats sont valables pour les femmes en dehors de ce cadre. C’est un problème de fond : les études mesurent la bioéquivalence globale, mais ne regardent pas si les différences entre les sexes ou les âges sont statistiquement significatives.

Salle d'essai clinique divisée : à gauche, des hommes jeunes en 1990 ; à droite, un groupe diversifié en 2024 avec des personnes âgées.

Les pièges statistiques et les faux positifs

Une étude menée en 2017 a montré un cas étrange : sur 14 participants, les hommes avaient une absorption de 79 % du médicament par rapport à la référence, tandis que les femmes en avaient 95 %. Cela semblait indiquer une bioinéquivalence chez les hommes. Mais quand la même étude a été refaite avec 36 participants, le résultat a changé : les deux groupes étaient équivalents. Pourquoi ? Parce qu’avec peu de personnes, un seul individu avec une métabolisation atypique peut fausser tout l’ensemble. C’est ce qu’on appelle un « faux positif ».

Les chercheurs ont appris à éviter cela : il faut au moins 24 à 36 participants pour avoir une puissance statistique suffisante. Et il faut analyser les données par sexe et par tranche d’âge. Sinon, on risque de valider un générique qui fonctionne bien pour les hommes, mais pas pour les femmes - ou inversement. La FDA recommande désormais des analyses de sous-groupes pré-spécifiées dans les protocoles. Cela signifie qu’on doit décider à l’avance : « On va comparer les hommes et les femmes séparément. » Sans ça, les données ne sont pas fiables.

Les défis pratiques : pourquoi les études restent déséquilibrées

On peut bien écrire des règles, mais les réalités du terrain sont autre chose. Recruter des femmes pour des études de bioéquivalence coûte 20 à 30 % plus cher. Pourquoi ? Parce qu’elles sont moins nombreuses à se porter volontaires. Beaucoup ont des responsabilités familiales, des emplois à temps partiel, ou des peurs liées aux essais cliniques. Les sites d’essais préfèrent donc recruter des hommes, plus disponibles, plus faciles à joindre.

En 2021, l’analyse de 1 200 demandes de génériques aux États-Unis a révélé que la moyenne de participation féminine était de 32 %. Pour la lévothyroxine, ce chiffre descendait à 25 %. C’est un écart énorme avec la réalité. Et pourtant, les fabricants n’ont pas toujours de motivation pour changer. Les études plus longues, plus coûteuses, plus complexes, retardent la mise sur le marché. La pression économique est forte. Mais la FDA a commencé à refuser des dossiers qui ne respectent pas les nouvelles exigences. En 2022, trois demandes ont été rejetées pour cause de déséquilibre sexuel non justifié.

Sablier géant avec des silhouettes jeunes en haut et des personnes âgées en bas, le sable se transformant en pilules vers une patiente âgée.

Le futur : des critères plus précis, plus justes

Le changement est en marche. En 2024, l’EMA devrait publier une mise à jour de son guide de 2010, probablement en s’alignant sur les exigences de la FDA. L’idée est simple : les études de bioéquivalence doivent refléter les patients réels. Pas une version simplifiée, idéalisée, de la population.

De nouvelles recherches explorent même des seuils de bioéquivalence différenciés selon le sexe - surtout pour les médicaments à marge étroite, comme les anticoagulants ou les antiépileptiques. Si une femme métabolise un médicament plus lentement, peut-on ajuster la plage d’équivalence pour elle ? Cela semble logique. Mais cela demande des données, des études, du temps. Et surtout, une volonté politique.

Les fabricants de génériques ne peuvent plus se contenter de faire comme avant. Les autorités surveillent. Les patients exigent plus. Et la science le confirme : la bioéquivalence n’est pas une question de chimie seule. C’est une question de biologie, de genre, d’âge, de vie réelle.

Que faire si vous êtes un fabricant ou un chercheur ?

  • Si votre médicament est destiné aux deux sexes, incluez à peu près 50 % d’hommes et 50 % de femmes. Ne vous contentez pas de dire que c’est « équilibré » : comptez les participants et documentez-le.
  • Si vous ciblez les personnes âgées, incluez des participants de 60 ans et plus. Ne les excluez pas sans justification scientifique.
  • Planifiez des analyses de sous-groupes dès le protocole. Ne les faites pas après coup pour « voir ce qui se passe ».
  • Utilisez la randomisation stratifiée par sexe et par âge pour éviter les biais.
  • Si vous ne pouvez pas inclure un groupe (ex. : femmes enceintes), justifiez-le clairement dans votre dossier de demande.

La bioéquivalence ne se limite plus à une courbe de concentration dans le sang. Elle doit refléter la diversité des corps humains. Et c’est une question d’éthique autant que de science.

Pourquoi les études de bioéquivalence ont-elles longtemps exclu les femmes ?

Les études de bioéquivalence ont longtemps exclu les femmes parce qu’on pensait que les hommes jeunes étaient plus stables sur le plan pharmacologique. Moins de variations hormonales, pas de grossesse, pas de contraception à gérer : c’était plus simple, moins cher et plus rapide. Mais ce choix était basé sur la facilité, pas sur la science. Les différences physiologiques entre les sexes - comme la masse grasse, la clairance hépatique ou la distribution des fluides - ont été ignorées pendant des décennies, ce qui a conduit à des prescriptions inadaptées pour les femmes.

Quelle est la proportion minimale de femmes exigée aujourd’hui dans les études de bioéquivalence ?

La FDA exige désormais une répartition équilibrée, soit environ 50 % de femmes, si le médicament est destiné aux deux sexes. L’EMA n’impose pas de ratio fixe, mais demande que la population soit représentative. En pratique, les études qui incluent moins de 40 % de femmes sont désormais souvent rejetées ou demandent une justification solide. Le seuil de 40-60 % est devenu la norme attendue par les autorités.

Les personnes âgées doivent-elles être incluses dans les études de bioéquivalence ?

Oui, si le médicament est destiné aux personnes âgées. La FDA exige explicitement l’inclusion de sujets de 60 ans et plus dans ce cas. L’EMA n’impose pas d’âge maximum, mais exige une justification si les personnes âgées sont exclues. Dans la réalité, très peu d’études incluent des participants de plus de 65 ans, malgré le fait que plus de 70 % des patients chroniques appartiennent à cette tranche d’âge. C’est un risque majeur pour la sécurité des patients.

Pourquoi les petites études (n=12) sont-elles problématiques pour analyser les différences de sexe ?

Avec seulement 12 participants, un seul individu avec une métabolisation atypique - par exemple, une femme qui métabolise très lentement le médicament - peut fausser les résultats. Cela crée un « faux positif » : on pense qu’il y a une différence entre les formulations, alors qu’en réalité, c’est un effet de la variabilité individuelle. Les études avec 24 à 36 participants permettent de compenser ces variations extrêmes, car les effets atypiques se répartissent mieux entre les groupes.

Quels sont les risques si un générique est testé uniquement sur des hommes ?

Le risque principal est que le générique soit déclaré bioéquivalent, mais qu’il ne fonctionne pas correctement chez les femmes. Par exemple, une dose qui donne une concentration optimale chez un homme peut être trop faible chez une femme, entraînant un échec thérapeutique. Ou inversement, elle peut être trop élevée, causant des effets secondaires. Cela a été observé avec des médicaments comme la lévothyroxine, les antidouleurs ou les anticoagulants. Les patients ne sont pas informés de ces différences, ce qui augmente le risque d’effets indésirables.